KRAZY KAT de George Herriman

KRAZY KAT

Je lis de la bande dessinée depuis que je sais lire. Toutes les sortes, tous les formats, toutes les époques. Plus je découvre des choses, plus je me rends compte de l’étendue de mes lacunes.

Krazy Kat en a longtemps fait partie. Pourtant, ce n’est pas faute d’en avoir entendu parler. Cette BD de George Herriman publiée entre 1913 et 1944 revient en permanence en tête de tous les tops, toutes les listes, que ce soit quand ça concerne les BD, ou la culture en général.

J’ai bien sûr lu quelques pages de ci de là, mais la sortie récente d’une biographie consacrée à l’auteur de Krazy Kat m’a donné envie de m’y pencher de manière plus sérieuse.

Je vais partager avec vous mes impressions, et je l’espère, vous donner envie de découvrir à votre tour cet univers complètement dingue, surréaliste, poétique, et miroir de la société.

Krazy est un chat noir vagabond qui traine dans les déserts de l’Arizona. Krazy est amoureux d’Ignatz, une souris dont la seule passion est de balancer des briques sur la tronche du protagoniste félin. Ainsi, notre héros prend ces briques pour des preuves d’amour. Entre en scène l’Officier Pupp, un chien qui semble lui amoureux de Krazy et qui fera tout pour mettre Ignatz en prison.

Ca a l’air compliqué quand il faut le raconter avec des phrases, c’est toujours très dur de paraphraser une oeuvre et la synthétiser en quelques mots, surtout quand elle est paradoxalement aussi dense et épurée que Krazy Kat.

A une époque où la bande dessinée était loin d’être considérée comme un art et était publiée comme loisir du Dimanche au sein de journaux plus ou moins populaires, George Herriman, a proposé une bande dessinée visionnaire, aussi inspirée de la bande dessinée que l’on avait pu avoir jusqu’à cette époque que d’arts plus « nobles ». En effet, l’explosion du cubisme n’est pas pour rien dans l’expression de cet artiste.

On a donc plusieurs symboles, archétypes si on veut, dont chaque face est disséquée, étudiée, observée. A la manière de Duchamp ou de Picasso, Herriman déstructure et laisse son oeuvre libre à l’interprétation de chacun, proposant autant de niveaux de lectures qu’il y a d’êtres humains. Et ces niveaux de lectures sont autant sur le fond que sur la forme, car comme tout artiste qui se respecte, Herriman sait que la forme EST le fond et que l’un ne fonctionne pas indépendamment du reste.

Aujourd’hui encore, la mise en page d’Herriman, sa manière d’inventer de nouveaux codes et jouer d’anciens reste révolutionnaire. Pas une page ne ressemble à une autre dans le découpage, rendant sa bande dessinée si vivante et organique.

Mais ce n’est pas que graphiquement et esthétiquement qu’Herriman était en avance. Des trucs qu’il a fait en 1919 sont encore aujourd’hui d’actualité, plus que jamais, même.

Déjà, il faut savoir qu’Herriman avait du sang noir, mais qu’il n’a jamais dit qu’il était noir, passant ainsi comme blanc auprès de ses contemporains, ce qui lui a permis de pouvoir exercer son art. Il est né et a grandi dans le quartier de Tremé de la Nouvelle Orléans (quartier donnant aussi son nom à une chouette série que vous avez peut être vue). A l’âge de 10 ans, il a bougé à Los Angeles. Sa visite de l’Arizona et de l’Utah a façonné le décor de Krazy Kat, l’auteur était tombé amoureux de ces régions désertiques.

Herriman était publié au sein de divers journaux et magazines appartenant à William Randolph Hearst (vous savez, l’inspiration principale pour Citizen Kane, magnat de la presse et misanthrope devant l’éternel), et malgré un succès populaire très limité, Hearst était tombé amoureux de Krazy Kat et a offert à Herriman un contrat en or: un contrat à vie. C’est fou, le mec avait ses tares et était le chantre du capitalisme rampant, mais avait presqu’un côté HBO.

Bref, pourquoi je vous raconte tout ce background ?

Tout simplement parce que beaucoup de personnes (la plupart) ne savaient pas qu’Herriman était noir, et que son chat noir représentait aussi… un noir face à la société de son époque. Vagabond, hors la loi, Krazy est impulsif et n’obéit qu’à ce qui lui parait juste. La souris représente les blancs qui oppressent et paradoxalement fascinent les oppressés.

Je vais vous montrer une planche qui date de 1919 qui devrait vous foutre sur le cul.

Oui, on a donc sur cette planche un flic qui est envoyé en ville pour déloger un SDF musulman qui est caché et protégé par une personne noire. Je dis personne, puisque Krazy est sexuellement fluide, Herriman refusait de lui assigner un seul sexe, et parlait de Krazy tantôt avec « he », tantôt en utilisant « she ».

En avance sur son temps, vous dis je.

D’ailleurs, vous savez qui a cité Herriman comme influence principale de leur art?

Robert Crumb, Will Eisner, Chris Ware, Bill Waterson, Charles M. Schulz, et Art Spiegelman. Y en a plein d’autres encore, mais là, on est déjà sur ce qui se fait de mieux en BD encore actuellement.

KRAZY KAT

Si mon article vous a donné envie d’en savoir plus, vous pouvez vous choper plusieurs bouquins:

  • La biographie de George Herriman écrite par Michael Tisserand: KRAZY: George Herriman, a life in black & white. Je n’ai pas fini de la lire, mais c’est du très bon, super documenté et ça parle autant de l’homme que de l’artiste.
  • Les volumes de l’intégrale publiée chez Fantagraphics qui ont publié tous les Sunday Special (qui sont donc les BD en pages complètes hebdomadaires) de 1916 à 1944.
  • Les volumes en français qui sont sorti aux éditions Les Rêveurs qui vont de 1925 à 1944. De beaux ouvrages assez gros (4 gros volumes), mais du coup, où on perd un peu dans la traduction.

Voilà.

Des bisous.

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