Chroniques Nucléaires #1: The Last American

LA BOMBE ATOMIQUE !

Si vous n’en avez pas peur, je vous envie. Il y a quelques mois encore, je n’en avais pas peur non plus. L’équilibre de la terreur on appelle ça. Mais c’était pas pareil pour les générations qui m’ont précédé.

Cette peur était omniprésente.

La bombe a détruit tout ce qu’elle a trouvé sur son passage en 1945, et s’est assurée que cette destruction soit tout sauf éphémère.

Les images du champignon atomique sont gravées à jamais dans les esprits. Qu’on le veuille ou non, cette forme est devenue presque aussi populaire que le carré, le triangle ou le rond.

Très vite, la bombe a inspiré les œuvres de fiction, le cinéma, la musique, ou la littérature.

Que ce soit des films comme Kiss Me Deadly d’Aldrich qui raconte une escalade vers l’apocalypse nucléaire sous forme de film noir, Mad Max, qui raconte les conséquences de la bombe dans un monde post-apocalyptique ; ou encore Godzilla qui raconte une nouvelle destruction du seul pays à avoir été touché par la bombe, cette thématique travaille sans cesse les artistes.

La musique, le jeu vidéo, et la littérature ne sont pas en reste : 1984 de George Orwell, Enola Gay d’Orchestral Manoeuvres in the Dark, Un Cantique pour Leibowitz De W. M. Miller, ou encore Fallout d’Interplay Entertainment et tant d’autres oeuvres.

Ce qu’on observe, c’est la variété de sous-genres nucléaires : des trois films cités, pas un ne se ressemble. D’une vérité aussi puissante et tangible qu’une déflagration apocalyptique, l’art s’est permis de donner une vision différente, et fait évoluer cette réalité dans différents genres et degrés de réalisme.

En mars 2014, il y avait 183 519 survivants des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Les deux bombes ont fait plus de 200 000 morts. Il y a de moins en moins de personnes qui l‘ont connue de manière personnelle. Parmi celles ci, je ne sais pas combien se sont dirigées vers l’art, je n’ai que peu entendu leurs voix, mais leur mémoire survit à travers les œuvres du Japon et d’ailleurs.

Un art que j’aime plus que tous les autres a été très largement nourri par la mémoire de la bombe. Il s’est développé en grande partie après celle ci, d’ailleurs.

Cet art, c’est la Bande Dessinée. Sous toutes ses formes, elle a repris cette peur, cette vérité, et l’a transformée. Le manga est l’enfant de la bombe, Watchmen ne parle que de ça, Hulk est un humain modifié par l’atome, les exemples sont là et sont nombreux.

Peut-être que c’est en créant que l’humanité se rachètera un jour de cette atrocité. Peut-être que quand il y aura autant d’œuvres nées de la bombe atomique que de morts provoqués par celle ci, nous pourrons continuer à vivre.

Chacune de ces « Chroniques Nucléaires » parlera d’une bande dessinée et d’une vision différente de la bombe atomique. 

L’oeuvre que je souhaite vous présenter aujourd’hui a récemment été traduite en français chez Delirium Editions, et s’appelle The Last American, c’est écrit par John Wagner et Alan Grant, et illustré par Mike McMahon.

The Last American a été publié en 1990 en quatre parties sous le label EPIC chez Marvel, qui proposait une vision plus adulte de la bande dessinée, et a débauché pas mal d’auteurs anglais issus de la revue 2000AD, magazine de BD dont les plus grands sont issus: Alan Moore, Garth Ennis, Peter Milligan, Grant Morrison, etc. C’est aussi la revue où est né Judge Dredd.

Il se trouve d’ailleurs que les trois têtes pensantes à l’origine de The Last American ont participé à créer Judge Dredd dans les années 70 et sont ceux qui ont le plus contribué à l’évolution de sa mythologie.

Pas étonnant ainsi que le futur proposé par The Last American soit aussi cynique que critique de la société actuelle en utilisant comme prisme la science fiction.

De quoi ça parle? Ca parle d’Ulysses S. Pilgrim, un soldat qui a été cryogénisé afin de survivre à une apocalypse nucléaire et qui est réveillé par trois robots dans un monde en ruines. Sa mission est de parcourir l’Amérique, trouver des survivants, et tuer les éventuels ennemis.

La BD distille les derniers instants de l’anxiété liée à la bombe atomique durant la guerre froide en un manifeste sombre et acéré contre cette arme et ses conséquences sur l’humanité entière. D’un pessimisme sans pareil, cette oeuvre brille par la noirceur de son propos et pisse allègrement sur une Amérique déshumanisée, sur un patriotisme maladif et nocif, sur l’armée, et évidemment, raconte la folie qui suit un évènement aussi grave.

On suit Ulysses dans sa descente aux enfers alors qu’il rencontre sur son chemin les vestiges des derniers remparts de l’humanité: que ce soit des montagnes de crânes avec une pancarte d’un cannibale qui assure n’avoir tué aucune des personnes qu’il a mangées; ou quand il est attaqué, mais heureux, que les personnes en face soient des humains, et qu’il il se rend compte que ce sont des sentinelles robotisées qui tirent à vue le premier qui approche. On descend toujours plus loin dans les tréfonds de l’âme humaine. Cet humain qui se rabaisserait à tout pour survivre, mais qui surtout, se rabaisserait à tout pour montrer sa domination par une démonstration de force, quitte à détruire le monde.

Au milieu de cette problématique terre à terre et proposant un réalisme pessimiste sans comparaison, les auteurs se permettent un second degré qui nous fait rire jaune, un des robots par exemple est complètement habité par la culture pop du 20ème siècle et cite des références à la TV à tour de bras, un long segment est une comédie musicale fantasmagorique au sain d’un New York en ruines, ou encore, le Paradis vu en rêve par le protagoniste est peuplé de ce que l’Amérique a fait de pire et est un pamphlet envers la société moderne et l’hégémonie forcée de ces Etats Unis, appuyant le fait que la bombe est aussi américaine que le baseball ou le hamburger.

Bombe

Mais tout ça ne serait rien sans le talent de Mike McMahon qui réussit à transmettre cette anxiété et ce chaos à travers son trait anguleux et ses articulations complètement disproportionnées. Son style rappelle ici les comix des 70’s, un style complètement libre des standards de la BD mainstream, alternant des plans sur l’humain déshumanisé ou sur des décors de destruction massive.

C’est vraiment dommage que The Last American ne soit traduit que maintenant et ait eu moins de visibilité que beaucoup d’autres BD de la même époque, parce que je pense qu’elle mérite d’être rangée à côté des meilleurs de vos livres.

C’est simple, j’ai découvert cet ouvrage à l’occasion d’une réédition en VO il y a presque un an, et je l’ai lu trois fois. Je l’ouvre souvent pour regarder dedans. Chaque instant me hante.

Bombe

Et surtout, comme Ulysses, je me prends à rêver que la bombe explose et ne tue personne sauf moi. Que le reste du monde continue à vivre alors que je meurs sur le coup.

Mais peut être que je préfèrerais ça. Je faisais lire cet article à un pote avant de le publier, et il m’a demandé pourquoi j’avais peur de la bombe, et si c’était lié à la peur de mourir. Je lui ai dit que non. Je lui ai dit que c’est parce que je ne voulais pas voir d’autres gens mourir.

Peut être que j’ai plus peur de survivre à la bombe que d’en crever.

On verra bien quand ça arrivera.

Bisous.

 

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