Fiction, Troubles, Identités

Nous sommes en 2017, et plus ça avance, plus l’infini du cerveau humain se dévoile à nous. Ce n’est pas que par rapport à l’infiniment grand qu’on se sent tout petit, mais aussi par rapport à l’infiniment petit: le voyage vers l’intérieur est aussi vaste que celui vers l’extérieur. Je ne sais plus qui disait que plus il en sait, plus il sait qu’il ne sait rien. C’est vrai.

La fiction offre souvent des pistes de réflexions intéressantes.

Le film Split par exemple est sorti il y a quelques jours, et nous propose de suivre 23 personnes qui sont attachées au même corps et prennent la parole tour à tour à travers celui ci. La particularité de ce film (à part celle de ne jamais être aussi bon que son concept et d’être somme toute un thriller basique un peu longuet) est que le personnage principal est inspiré d’une personne qui a vraiment existé: Billy Milligan.

Billy Milligan a mené une enfance plutôt très difficile, et a du se créer différentes personnalités afin de se protéger. Ces personnalités étaient en fait bien plus que ça, c’était des personnes à part entière. L’une d’entre elles par exemple parlait le serbe. L’autre était saxophoniste. Ou peintre. Une de ces personnes était droitière. Une seule. Certaines étaient dyslexiques, d’autres des enfants, d’autres encore des femmes ou des hommes d’âges et sexualités différentes.

Parmi ces personnes, deux d’entres elles choisissaient lesquelles étaient désirables ou non. Ainsi, dix personnalités avaient le droit de prendre le flambeau, et 13 autres étaient interdites pour des raisons diverses et variées: pulsions de meurtres, de violences, manque d’ambition, l’un d’eux était un enfant sourd de quatre ans qui a été enfoui dans les limbes aussi et n’est ressorti qu’après les différents tests qui ont été menés suite à l’hospitalisation de Billy.

Les questions que posent ce cas sont illimitées. Les réponses ne seront jamais satisfaisantes. Comment est ce qu’un traumatisme peut provoquer ça? Comment est ce que le cerveau peut créer ça? Comment parler à ces personnes? Comment les considérer sans empiéter sur une des autres?

C’est dingue!

Et c’est à peu près à ces questions qu’a essayé de répondre Daniel Keyes dans son bouquin Les Mille et Une Vies de Billy Milligan qui parle de la jeunesse, du traumatisme et de la vie de ces personnes qui se partageaient un corps.

Ce n’est pas étonnant que Daniel Keyes soit celui qui s’est attaché à faire cette biographie. En effet, ce dernier avait déjà tapé fort avec sa nouvelle transformée plus tard en roman: Des Fleurs pour Algernon. Le livre parlait déjà d’identité, de crises d’identité et de personnalité, et proposait une introspection dans l’esprit d’une personne dotée d’un QI peu élevé qui était amenée à devenir intelligente et à se confronter à un monde qu’il perçoit et qui le perçoit différemment. Keyes s’était inspiré de sa propre expérience d’enseignement pour des classes spécialisées.

Je n’ai absolument pas le background de Keyes, je n’ai que peu côtoyé des personnes ayant des maladies qui font qu’elles ont un esprit différent de la norme sociétale.

L’article que j’écris ici n’est ni une critique, ni une étude sur la maladie ou le phénomène. Ce ne sont que des idées trouvées suites à différentes lectures récentes. Je dis ça afin de ne blesser personne, et si c’est le cas, j’aimerais que vous m’en parliez ici ou ailleurs afin que j’apprenne comment communiquer et me renseigner sur le sujet.

Je souhaite vous offrir des propositions de lectures de fiction traitant de ce sujet et se servant de crises de personnalités et de troubles dissociatifs afin de montrer que ça peut permettre le dépassement de soi par le biais de sois multiples.

La première oeuvre qui m’est venue à l’esprit en lisant le pitch de Split est Doom Patrol de Grant Morrison.

Non content d’avoir mis au sein de son équipe le premier personnage de bande dessiné non binaire (définition simplifiée: Le genre n’est pas forcément une alternative entre deux propositions, homme et femme : beaucoup d’autres identités existent) avec Rebis, la fusion d’une femme noire, d’un homme blanc et d’un être composé d’énergie, Morrison créé le personnage de Crazy Jane.

Qui est Crazy Jane?

C’est Kay Challis qui a été abusée par son père à l’âge de cinq ans et a développé 64 personnes dotées chacune d’un super pouvoir différent. La personne dominante dans son cas est « Crazy » Jane Morris qui tire son nom de poèmes de Yeats.

Comme Billy, il y a des personnalités plus ou moins dangereuses, plus ou moins désirées, il y en a qui remplissent le rôle de protecteurs, d’autres de guide, d’autres encore servent de relais à l’expression de chacune.

C’est une idée très intéressante, le dépassement de soi par le biais de ce qui est considéré comme une maladie.

Doom Patrol parle de ça en général depuis 1963, et en 1989, Morrison a poussé la réflexion plus loin encore. C’est une équipe de super héros composée de personnes en marge de la société qui vivent leurs pouvoirs un peu comme malédictions, des fardeaux. D’ailleurs, le type qui recrute les membres de l’équipe est une personne en fauteuil roulant, ce qui n’est pas sans rappeler les X-Men. Surnommé Chief, Niles Caulder aurait déclenché malgré eux les accidents qui ont permis à chacun des membres de son équipe de devenir ce qu’ils sont, persuadé que le dépassement de soi n’est possible qu’à la suite d’évènements tragiques (philosophie qui revient d’ailleurs à la fin de Split). Une pensée complètement radicale, évidemment.

Ce qui m’avait bluffé, et c’est probablement encore aujourd’hui, une de mes expériences de lecture les plus marquantes, c’est le numéro 30 de la série qui envoyait un personnage se balader dans l’esprit de Jane. Comment se présente cet esprit? Comme un métro avec ses lignes, son chef de gare, chaque personnalité étant une station. Il y a aussi le puit où les personnalités indésirables ou oubliées sont jetées et tuées.

identités

C’était un numéro touchant, débordant d’imagination et de pistes de réflexions, le tout parfaitement illustré par Richard Case. Je vous le conseille à tout prix.

J’aimerais citer une autre oeuvre, une bande dessinée aussi, c’est Enigma de Peter Milligan, dessiné par Duncan Fegredo.

enigma identité identités

On est ici dans une métafiction, clairement. Autant que la fabrique de l’identité, Milligan nous interroge sur la fabrique des histoires qu’on raconte et qu’on se raconte.

On suit Michael Smith, l’hétérosexuel blanc le plus banal de la planète (c’est pour vous dire!) qui va découvrir qu’une vague de crimes particulièrement violents et tordus sont perpétrés par les méchants d’une bande dessinée qu’il lisait gamin. Interpellé, il va quitter sa vie de merde et sa zone de confort, persuadé que cette histoire tourne autour de lui. En effet, lorsqu’apparaît Enigma, le héros de son enfance, il va aller à la recherche de son auteur et voyager vers son intérieur, découvrir son homosexualité refoulée par sa mère qui l’a abandonné à l’âge de 9 ans.

Mais le personnage le plus intéressant reste celui d’Enigma, pas celui de la BD, mais celui que va rencontrer Michael. Un bébé né avec des grands pouvoirs, jeté dans un puit par sa mère après avoir brûlé le visage de son père, il s’en est sorti en mangeant des lézards et a découvert les bandes dessinées de Michael en tombant de manière aléatoire sur les lieux où ce dernier avait passé son enfance.

Encore une fois, c’est des pouvoirs qui fonctionnent aussi comme des malédictions, qui mettent les personnages en marge de la société jusqu’à ce qu’ils se rencontrent et forment un couple.

On s’éloigne un peu de mon sujet de base, même si l’idée était de vous parlait des troubles identitaires appliqués au super héroïsme.

On revient au sujet en force avec mon dernier exemple pour aujourd’hui, celui de Legion. Legion est une série TV en cours, adaptée très librement du personnage du même nom dans les X-Men.

Pour en parler, je vais remonter à la Bible. Un jour, Jésus se baladait je ne sais trop où, et il rencontra un type pas net possédé par un démon. Forçant le démon à sortir, Jésus a fait « Quel est ton nom? » et là, le démon lui répondit « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux. ».

C’est peut être comme ça qu’on voyait les personnes atteintes de troubles d’identité à l’époque. Peut être que les démons qui se manifestent à travers les personnes possédées ne sont que d’autres personnes enfouies qui ont juste envie d’exister.

Legion, donc, c’est une série sur un homme qui évolue en milieu psychiatrique avec un diagnostic de schizophrène, mais qui va apprendre que les symptômes qu’il a ne sont pas ceux d’une maladie, mais d’une mutation. Une mutation qui lui donne le potentiel le plus énorme parmi tous les mutants existants.

La série est en cours à l’heure où je vous parle, donc je ne sais pas encore où ça va exactement, mais elle creuse la question de l’identité, de la mémoire, et si ça finit par ressembler à la BD, ça parlera d’une personne qui assimile des personnes entières et répartit différents pouvoirs parmi elles, pouvant invoquer la personne qu’il veut quand il le veut.

Noah Hawley, déjà créateur de la brillante série Fargo (même si j’ai quelques réticences sur la saison 2) nous offre ici un univers super héroïque bien loin de ce qu’on nous propose au cinéma, que ce soit dans le fond ou la forme qui ici ne font qu’un. La réalisation, le montage, l’écriture de la série sont au service du propos véhiculé qui a l’air de vouloir montrer la complexité de l’humain, de l’identité, de la perception.

Je vais m’arrêter ici, parce que j’en ai envie, et que bien que j’aimerais creuser le sujet plus encore, je n’ai pas envie de faire un fourre tout et me perdre en route.

Je vous conseille, si la BD et l’identité vous intéressent, de vous pencher sur un article que j’avais écrit ici même il y a quelques temps déjà et qui parle plus de l’identité sexuelle: THE EXTREMIST/SEX, THE FINAL FRONTIER

Et je vous quitte en vous faisant plein de câlins, et en espérant vous avoir donné des informations, des conseils de lectures ou des pistes de réflexions qui vous intéresseront.

Oh, et aussi, prenez soin les uns des autres, respectez les personnes et leurs identités désirées. Qu’ils soient 1, 20, ou 20 en 1.

Je vous ai parlé ici d’oeuvres de fictions et d’une personne réelle qui a beaucoup de personnes en elle, mais sachez que ces troubles touchent beaucoup de personnes avec une manifestation moins impressionnante, et que ces personnes ont besoin de toute la patience et toute la bienveillance du monde.

Allez, bisous pour de vrai, je vais dormir.

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